Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/295

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Les prétextes ne me manquoient pas pour tous ces voyages & Maman seule m’en eût fourni de reste, tant elle avoit par-tout de liaisons, de négociations, d’affaires, de commissions à donner à quelqu’un de sûr. Elle ne demandoit qu’à m’envoyer, je ne demandois qu’à aller ; cela ne pouvoit manquer de faire une vie assez ambulante. Ces voyages me mirent à portée de faire quelques bonnes connoissances qui m’ont été dans la suite agréables ou utiles : entr’autres à Lyon celle de M. Perrichon, que je me reproche de n’avoir pas assez cultivée, vu les bontés qu’il a eues pour moi ; celle du bon Parisot dont je parlerai dans son tems : à Grenoble celle de Madame Deybens & de Madame la présidente de Bardonanche, femme de beaucoup d’esprit & qui m’eût pris en amitié si j’avois été à portée de la voir plus souvent : à Geneve celle de M. de la Closure Résident de France, qui me parloit souvent de ma mere dont malgré la mort & le tems son cœur n’avoit pu se déprendre ; celle des deux Barillot, dont le pere, qui m’appelloit son petit-fils, étoit d’une société très-aimable & l’un des plus dignes hommes que j’aye jamais connus. Durant les troubles de la République, ces deux citoyens se jeterent dans les deux partis contraires ; le fils dans celui de la Bourgeoisie, le pere dans celui des Magistrats & lorsqu’on prit les armes en 1737, je vis, étant à Geneve, le pere & le fils sortir armés de la même maison, l’un pour monter à l’hôtel-de-ville, l’autre pour se rendre à son quartier, surs de se trouver deux heures après l’un vis-à-vis de l’autre, exposés à s’entr’égorger. Ce spectacle affreux me fit une impression si vive que je jurai de ne