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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/307

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Une malheureuse crainte la retint. Elle n’osa quitter sa vilaine maison de peur de fâcher le propriétaire. Ton projet de retraite est charmant, me dit-elle & fort de mon goût ; mais dans cette retraite il faut vivre. En quittant ma prison je risque de perdre mon pain, & quand nous n’en aurons plus dans les bois il en faudra bien retourner chercher à la ville. Pour avoir moins besoin d’y venir ne la quittons pas tout-à-fait. Payons cette petite pension au Comte de ***. pour qu’il me laisse la mienne. Cherchons quelque réduit assez loin de la ville, pour vivre en paix, & assez près pour y revenir toutes les fois qu’il sera nécessaire. Ainsi fut fait. Après avoir un peu cherché, nous nous fixâmes aux Charmettes, une terre de M. de Conzié à la porte de Chambéri, mais retirée & solitaire comme si l’on étoit à cent lieues. Entre deux côteaux assez élevés est un petit vallon nord & sud au fond duquel coule une rigole entre des cailloux & des arbres. Le long de ce vallon à mi-côte sont quelques maisons éparses fort agréables pour quiconque aime un asyle un peu sauvage & retiré. Après avoir essayé deux ou trois de ces maisons, nous choisîmes enfin la plus jolie, appartenant à un gentilhomme qui étoit au service, appellé M. Noiret. La maison étoit très-logeable. Au-devant étoit un jardin en terrasse, une vigne au-dessus, un verger au-dessous, vis-à-vis un petit bois de Châtaigniers, une fontaine à portée ; plus haut dans la montagne des prés pour l’entretien du bétail ; enfin tout ce qu’il falloit pour le petit ménage champêtre que nous y voulions établir. Autant que je puis me rappeller les tems & les dates, nous en prîmes possession vers la fin de l’été de 1736. J’étois transporté, le pre-