Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/345

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monde, comme elle me l’avoua deux jours après. Il me fallut ensuite beaucoup de galanterie pour effacer cette mauvaise impression, ou plutôt Madame N***.

[Larnage] en femme d’expérience & qui ne se rebutoit pas aisément, voulut bien courir les risques de ses avances pour voir comment je m’en tirerois. Elle m’en fit beaucoup & de telles, que bien éloigné de présumer de ma figure, je crus qu’elle se moquoit de moi. Sur cette folie il n’y eut sorte de bêtise que je ne fisse ; c’étoit pis que le Marquis du Legs. Madame N***.

[Larnage] tint bon, me fit tant d’agaceries & me dit des choses si tendres, qu’un homme beaucoup moins sot eût eu bien de la peine à prendre tout cela sérieusement. Plus elle en faisoit, plus elle me confirmoit dans mon idée, & ce qui me tourmentoit davantage, étoit qu’à bon compte je me prenois d’amour tout de bon. Je me disois & je lui disois en soupirant : ah ! que tout cela n’est-il vrai ! je serois le plus heureux des hommes. Je crois que ma simplicité de novice ne fit qu’irriter sa fantaisie ; elle n’en voulut pas avoir le démenti.

Nous avions laissé à Romans Madame de ***.

[Colombier] & sa suite. Nous continuions notre route le plus lentement & le plus agréablement du monde, Madame N***.

[Lanage] , le Marquis de***.

[Torignan] & moi. Le Marquis quoique malade & grondeur, étoit un assez bon homme, mais qui n’aimoit pas trop à manger son pain à la fumée du rôti. Madame N***.

[Larnage] cachoit si peu le goût qu’elle avoit pour moi, qu’il s’en apperçut plus tôt que moi-même, & ses sarcasmes malins auroient dû me donner au moins la confiance que je n’osois prendre aux