Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/408

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

débattre pour en sortir, & de passer le reste de mes jours à vivre au jour la journée sans plus m’occuper de l’avenir. Le moment venu, j’exécutai ce projet sans peine, & quoiqu’alors ma fortune semblât vouloir prendre une assiette plus fixe, j’y renonçai non-seulement sans regret mais avec un plaisir véritable. En me délivrant de tous ces leurres, de toutes ces vaines espérances, je me livrai pleinement à l’incurie & au repos d’esprit qui fit toujours mon goût le plus dominant & mon penchant le plus durable. Je quittai le monde & ses pompes, je renonçai à toutes parures, plus d’épée, plus de montre, plus de bas blancs, de dorure, de coiffure, une perruque toute simple, un bon gros habit de drap, & mieux que tout cela, je déracinai de mon cœur les cupidités & les convoitises qui donnent du prix à tout ce que je quittois. Je renonçai à la place que j’occupois alors, pour laquelle je n’étois nullement propre, & je me mis à copier de la musique à tant la page, occupation pour laquelle j’avois eu toujours un goût décidé.

Je ne bornai pas ma réforme aux choses extérieures. Je sentis que celle-là même en exigeoit une autre plus pénible sans doute, mais plus nécessaire dans les opinions, & résolu de n’en pas faire à deux fois, j’entrepris de soumettre mon intérieur à un examen sévere qui le réglât pour le reste de ma vie tel que je voulois le trouver à ma mort.

Une grande révolution qui venoit de se faire en moi, un autre monde moral qui se dévoiloit à mes regards, les insensés jugemens des hommes, dont sans prévoir encore combien j’en serois la victime, je commençois à sentir l’ab-