Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t10.djvu/510

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moi-même, il auroit fallu dans ma situation les laisser élever par leur mere qui les auroit gâtés & par sa famille qui en auroit fait des monstres. Je frémis encore d’y penser. Ce que Mahomet fit de Séide n’est rien auprès de ce qu’on auroit fait d’eux à mon égard, & les pièges qu’on m’a tendus là-dessus dans la suite me confirment assez que le projet en avoit été formé. À la vérité j’étois bien éloigné de prévoir alors ces trames atroces : mais je savois que l’éducation pour eux la moins périlleuse étoit celle des Enfant-Trouvés & je les y mis. Je le ferois encore avec bien moins de doute aussi si la chose étoit à faire & je sais bien que nul père n’est plus tendre que je l’aurois été pour eux, pour peu que l’habitude eût aidé la nature.

Si j’ai fait quelque progrès dans la connaissance du cœur humain, c’est le plaisir que j’avois à voir & observer les enfans qui m’a valu cette connaissance. Ce même plaisir dans ma jeunesse y a mis une espèce d’obstacle, car je jouais avec les enfans si gaiement & de si bon cœur que je ne songeais guère à les étudier. Mais quand en vieillissant j’ai vu que ma figure caduque les inquiétait, je me suis abstenu de les importuner, & j’ai mieux aimé me priver d’un plaisir que de troubler leur joie & content alors de me satisfaire en regardant leurs jeux & tous leurs petits manèges, j’ai trouvé le dédommagement de mon sacrifice dans les lumières que ces observations m’ont fait acquérir sur les premiers & vrois mouvemens de la nature auxquels tous nos savans ne connaissent rien. J’ai consigné dans mes écrits la preuve que je m’étois occupé de cette recherche trop soigneusement pour ne l’avoir