Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/337

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Socrate, Aristide, on verroit un Ange, on verroit Dieu même avec des yeux ainsi fascines, qu’on croiroit toujours voir un monstre infernal.

Mais quelque facile que soit cette pente ; il est toujours bien étonnant, dites-vous, qu’elle soit universelle, que tous la suivent sans exception, que pas un seul n’y résiste & ne proteste, que la même passion entraîne en aveugle, une génération toute entiere, & que le consentement soit unanime dans un tel renversement du droit de la nature & des gens.

Je conviens que le fait est très-extraordinaire, mais en le supposant très-certain, je le trouverois bien plus extraordinaire encore, s’il avoit la vertu pour principe : car il faudroit que toute la génération présente se fut élevée par cette unique vertu, à une sublimité qu’elle ne montre assurément en nulle autre chose, & que parmi tant d’ennemis qu’a J. J., il ne s’en trouvât pas un seul qui eut la maligne franchise de gâter la merveilleuse œuvre de tous les autres. Dans mon explication, un petit nombre de gens adroits puissans intrigans, concertes de longue main, abusant les uns par de fausses apparences, & animant les autres par des passions auxquelles ils n’ont déjà que trop de pente, fait tout concourir contre un innocent qu’on a pris soin de charger de crimes, en lui ôtant tout moyen de s’en laver. Dans l’autre explication, il faut que de toutes les générations la plus haineuse se transforme tout-d’un-coup toute entiere, & sans aucune exception, en autant d’Anges célestes en faveur du dernier des scélérats qu’on s’obstine à protéger & à laisser libre, malgré les attentats & les crimes qu’il continue de commettre tout à son