Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t11.djvu/417

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reste de courage & de constance. Je consentirois sans peine à ne point exister dans la mémoire des hommes, mais je ne puis consentir, je l’avoue, à y rester diffame ; non, le Ciel ne le permettra point ; & dans quelque état que m’ait réduit la destinée, je ne désespérerai jamais la providence, sachant bien qu’elle choisit son heure & non pas la notre, & qu’elle aime à frapper son coup au moment qu’on’ne l’attend plus. Ce n’est pas que je donne encore aucune importance, & sur-tout par rapport à moi, au peu de jours qui me restent à vivre, quand même j’y pourrois voir renaître pour moi toutes les douceurs dont on a pris peine à tarir le cours. J’ai trop connu la misère des prospérités humaines pour être sensible à mon age à leur tardif & vain retour, & quelque peu croyable qu’il soit, il leur seroit encore plus aise de revenir qu’à moi d’en reprendre le goût. Je n’espere plus, & je désire très-peu, de voir de mon vivant la révolution qui doit désabuser le public sur mon compte. Que mes perfécuteurs jouissent en paix, s’ils peuvent, toute leur vie du bonheur qu’ils se sont fait des miseres de la mienne. Je ne désire de les voir ni confondus ni punis, & pourvu qu’enfin la vérité soit connue, je ne demande point que ce soit à leurs dépens : mais je ne puis regarder comme une chose indifférente aux hommes le rétablissement de ma mémoire & le retour de l’estime publique qui m’étoit due. Ce seroit un trop grand malheur pour le genre-humain que la maniere dont on a procède à mon égard servit de modele & d’exemple, que l’honneur des particuliers dépendît de tout imposteur