Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t13.djvu/173

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En supposant donc qu’il fût exactement vrai que la science du salut fût l’unique qui dût nous occuper, on voit que cette science renferme, exige toutes les autres connoissances humaines. Les savans Peres de l’Eglise nous en ont donne l’exemple, & saint Augustin nous dit expressément, qu’il seroit honteux & de dangereuse conséquence, qu’un Chrétien, se croyant fondé sur l’autorité des saintes Ecritures, raisonnât si pitoyablement sur les choses naturelles, qu’il en fût exposé à la dérision & au mépris des infidelles.*

[*Turpe est autem & nimis perniciosum, ac maximè cavendum, ut Christianum de his rebus (Physicis) quasi secundum christianas litteras loquetem, ita delirare quilibet infidelis audiat, ut (quemadmodum dicitur,) toto coelo errare conspiciens risum tenere vix possit. De Genes. ad litt. L. I. C. 19.]

Mais quoique la science du salut soit la premiere, la plus essentielle de toutes, les plus rigoureux casuistes conviendront qu’elle n’est pas l’unique nécessaire. Et que deviendroit la société ? que deviendroit même chaque homme en particulier, si tout le monde se faisoit chartreux, hermite ? Que deviendroit le petit nombre qu’il y a aujourd’hui de ces solitaires uniquement occupés de leur salut, si d’autres hommes ne travailloient à les loger, à les meubler, à les nourrir, à les guérir de leurs maladies ? C’est donc pour eux, comme pour nous, que travaillent les laboureurs, les architectes, les menuisiers, serruriers, &c. C’est donc pour eux, comme pour nous, que les manufactures d’étoffes, de verres, de fayance, s’élevent & produisent leurs ouvrages ; que les mines de fer, de cuivre, d’étain, d’or & d’argent, sont souillées & exploitées. C’est donc pour eux, comme pour nous, que le pêcheur jette ses filets ; que