Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t13.djvu/178

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mêmes qui ont abusé de choses aussi excellentes, n’ont eu ce malheur que par la dépravation qu’ils avoient dans le cœur, bien avant qu’ils fissent servir leurs talens acquis à la manifester au dehors.

Quoi de plus méchant & de plus éclairé tout à la fois que Néron ? Quel siecle plus poli que le sien ? Ce doit être ici ou jamais, le triomphe de l’induction du Citoyen de Geneve. Mais quoi ! osera-t-il dire que c’est aux lumières, aux talens de Néron, ou de son siecle, que sont dues toutes les horreurs dont ce monstre a épouvanté les Romains ? Qu’il nous fasse donc remarquer quelques traits de ces rares talens, dans l’art de faire égorger ses amis son précepteur, sa mers ; qu’il nous fasse donc appercevoir quelque liaison entre cette barbarie qui éteignit en lui tous les sentimens de la nature, de l’humanité, de la reconnoissance, & ces lumieres sublimes & précieuses qu’il tenoit des leçons du Philosophe le plus spirituel, & le plus homme de bien de son siecle. Il est trop évident que Néron, dans ses beaux jours, est un jeune tigre que l’éducation, les Sciences & les Beaux-Arts tiennent enchaîné, & apprivoisent en quelque sorte ; mais que sa férocité trop naturelle n’étant qu’à demi éteinte par tant de secours, se rallume avec l’age, les passions & le pouvoir absolu ; le tigre rompt sa chaîne, & libre alors comme dans les forêts, il se livré au carnage pour lequel la nature sa formé. Néron tyran & cruel est donc le seul ouvrage d’une nature barbare & indomptable, & non celui des Sciences & des Arts, qui n`ont fait que retarder, & peut-être même diminuer les funestes ravages de sa férocité. Ce que je dis ici de Néron est général.