Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t13.djvu/92

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elles se trouvent, mettent des entraves au génie & éteignent les Sciences & les Arts.

Etouffent en eux — des Peuples policés. Loin que les Sciences étouffent en nous le sentiment de la liberté originelle, c’est elles au contraire qui nous apprennent que la nature a fait tous les hommes égaux, & que l’esclavage est le fruit d’une tyrannie établie par la violence, par la raison du plus fort, suite inévitable de la barbarie. Mais c’est déshonorer la vraie idée d’un Peuple policé, que de nous le représenter comme une bête féroce à demi apprivoisée, comme un esclave sans sentimens pour sa liberté originelle, & assujetti à un joug honteux qu’il chérit encore, tant sa stupidité est extrême. L’homme policé est celui que les lumieres de la raison & de la morale ont convaincu que les loix & la subordination établies dans un Etat ont pour principe l’équité, & pour but sa propre félicité & celle de ses pareils. Persuadé de ces vérités, il est le premier à exécuter, à aimer, à défendre ces loix qui ont enlevé son suffrage, & qui sont sa sureté & son bonheur. Une société d’hommes qui pensent & qui agissent ainsi, forme ce qu’on appelle vraiment un Peuple policé.

Il y a toujours dans les Sociétés des individus pervers, qui n’ont ni les lumieres, ni la raison, ni l’éducation nécessaires pour ressembler à l’homme sociable que je viens de décrire ; ce sont-là ceux qu’on ne tient dans l’ordre d’un peuple policé que par des chaînes, que sous un joug ; mais on voit que ces hommes féroces sont ceux de notre espece qu’on n’a pu apprivoiser ; c’est la partie non policée du peuple, & celle que le reste de la société est intéressée à retenir