Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/130

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possis rectè, si non, quocumque modo rem. Fais ton bien avant tout, tout ce qui le paroît, fût-il le mai d’autrui : seulement ne lui fais pas de mal plus que ton bien ne le demande, fais-lui du mal le moins que tu pourras ; c’est-à-dire, à proportion de la pitié seule que tu pourras avoir de lui.

Car la pitié est la seule regle de charité, de justice même que M. R. donne ici à l’humanité naissante & primitive, & cette pitié n’est selon lui que machinale & pire qu’animale, purement brute, physique & sensitive. Qu’on juge si elle peut avoir lieu dans les momens, ou l’intérêt propre nous fait avec âpreté courir à notre propre bien, sans autre discernement de l’intérêt d’autrui.

On dit communément que quelqu’un qui est bien à son aise, n’a gueres pitié des malheureux, n’y pense gueres, ne conçoit pas même qu’on puisse être malheureux. Beaucoup moins est-on sensible à cette pitié, lorsqu’on est dans la poursuite actuelle du bien qu’on pense uniquement à se faire à soi-même ? Vous le permettez, Seigneur, que ces prétendue philosophes, qui touchent à vos œuvres en esprit de critique & de déisme tout pur tombent dans des passions d’ignominie, dans des miseres de raisonnemens à faire eux-mêmes pitié aux plus vulgaires esprits.

Pitié d’esprit pour la plupart des spectateurs, mais pitié de cœur, de charité, d’amitié, de religion pour quelqu’un comme moi, qui voudrois bien rendre salutaire à M. R. la petite ignominie à quoi Dieu le livre ici, non en vérité pour le perdre mais si je le puis & si Dieu m’y aide efficacement, pour le convertir, le guérir & le sauver.