Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/185

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LETTRE XXIV.

Monsieur R. avance un principe dangereux, qui est que le droit de conquête ne peut jamais fonder un véritable droit, & que les peuples conquis sont à perpétuité armés de droit contre leurs conquérans, à moins que ces peuples conquis ou la nation remise en pleine liberté, ne choisisse volontairement son vainqueur pour son chef. D’abord il y a des conquêtes de droit par elles-mêmes, en second lieu, la plupart des conquêtes ne se sont pas sur les nations, mais sur leurs Souverains, n’y ayant qu’eux qui ayent droit de réclamer à si tête de leurs nations, comme serviteurs & soldats.

Il y a ici un sophisme, que sont tous ceux qui critiquent les gouvernemens en regle, sur-tout les monarchies & même les républiques. Je suis supris que bien d’habiles gens qui ont défendu ces gouvernemens, n’ayent jamais bien démêlé ce sophisme. Les prétendus esprits libres, forts & républicains, soi-disants philosophes, supposent toujours qu’une nation comme nation, une multitude de, gens de même nom ont sur eux mêmes un droit de_ gouvernement.

Tout leur droit de gouvernement n’est que passif. Une multitude n’a droit que d’être gouvernée, & non, de se gouverner. Chacun au plus n’auroit droit que de se gouverner lui-même : droit nul & dangereux dans une société. Il est moralement impossible qu’une multitude se gouverne elle- même. Alors il est vrai que s’il n’y a pas de chef naturel, la nation, sans