Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/244

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humain ne peut d’ailleurs triompher. Il n’y a qu’elle, qui ait des motifs victorieux de la chair & du sang, pour forcer pere & mere à renoncer à leurs enfans, & les enfans à renoncer à pere & mere, & à tout ce qu’il y a de plus cher & de plus délicieux.

Les missionnaires n’ont pu absolument détacher les Sauvages de la vie sauvage, c’est-à-dire, peu riche, peu commode, peu aisée, & du reste ni savante ni artiste. Ils en ont pour-tant quelquefois fait des peuplades, des villages, des villes : au Paraguai même, des provinces & des empires. Les missionnaires ne se sont pas même souvent piqués de trop civiliser les Sauvages, de les trop policer, de les trop mettre à leur aise, de leur apprendre nos sciences, de leur montrer nos arts dont ils pourvoient abuser, comme on en abuse souvent ici, & dont absolument on peut se passer pour vivre, & sur-tout pour gagner le ciel, qui est l’essentiel, & comme la somme & plus que la somme de tous nos biens temporels.

Car, si M. R. n’outroit pas toutes choses, on pourroit être de son avis, jusqu’à un certain point, & convenir que les sciences causent bien des vices d’orgueil, & que les arts nourrissent le luxe, & favorisent bien des passions de détail. Et quand je dis même l’orgueil, c’est plutôt la vanité, qui produit l’abus des sciences, sur quoi j’avancerois cette these, que les lettres, arts & sciences, corrigent les hommes en grand, & les corrompent peut-être en petit, en détail : je pourrai cal entreprendre la preuve quelque jour, à la suite même de la discussion présente, que je veux mener au bout du livre en question de M. R. dont je suis le très, &c.