LES
CONFESSIONS
DE
J. J. ROUSSEAU.
L’impatience d’habiter l’Hermitage ne me permit pas d’attendre
le retour de la belle saison, & sitôt que mon logement
fut prêt, je me hâtai de m’y rendre, aux grandes huées de
la cotterie Holbachique, qui prédisoit hautement que je ne
supporterois pas trois mais de solitude, & qu’on me reverroit
dans peu revenir avec ma courte honte vivre comme eux à
Paris. Pour moi, qui depuis quinze ans hors de mon élément,
me voyois prêt d’y rentrer, je ne faisois pas même
attention à leurs plaisanteries. Depuis que je m’étois, malgré
moi, jeté dans le monde, je n’avois cessé de regretter mes
chères Charmettes & la douce vie que j’y avois menée. Je
me sentois fait pour la retraite & la campagne ; il m’étoit
impossible de vivre heureux ailleurs : à Venise, dans le train
des affaires publiques, dans la dignité d’une espèce de représentation,
dans l’orgueil des projets d’avancement. À Paris,
dans le tourbillon de la grande société, dans la sensualité