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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/128

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récolte des légumes & des fruits, & que nous nous faisions un plaisir, Thérèse & moi, de partager avec la receveuse & sa famille. Je me souviens qu’un Bernois, nommé M. Kirchberger, m’étant venu voir, me trouva perché sur un grand arbre, un sac attaché autour de ma ceinture, & déjà si plein de pommes, que je ne pouvois plus me remuer. Je ne fus pas fâché de cette rencontre, & de plusieurs autres pareilles. J’espérois que les Bernois, témoins de l’emploi de mes loisirs, ne songeroient plus à en troubler la tranquillité, & me laisseroient en paix dans ma solitude. J’aurois bien mieux aimé y être confiné par leur volonté que par la mienne : j’aurois été plus assuré de n’y point voir troubler mon repos.

Voici encore un de ces aveux sur lesquels je suis sûr d’avance de l’incrédulité des lecteurs, obstinés à juger toujours de moi par eux-mêmes, quoiqu’ils oient été forcés de voir dans tout le cours de ma vie mille affections internes qui ne ressembloient point aux leurs. Ce qu’il y a de plus bizarre est qu’en me refusant tous les sentimens bons ou indifférens qu’ils n’ont pas, ils sont toujours prêts à m’en prêter de si mauvais, qu’ils ne sauroient même entrer dans un cœur d’homme : ils trouvent alors tout simple de me mettre en contradiction avec la nature, & de faire de moi un monstre tel qu’il n’en peut même exister. Rien d’absurde ne leur paraît incroyable dès qu’il tend à me noircir ; rien d’extraordinaire ne leur paraît possible, dès qu’il tend à m’honorer.

Mais quoiqu’ils en puissent croire ou dire, je n’en continuerai