Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/23

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déclarer que je souffrirois beaucoup & que je vivrois longtemps. Si la seconde prédiction s’accomplit aussi bien que la première, mes maux ne sont pas prêts à finir.

C’est ainsi qu’après avoir été traité successivement pendant tant d’années pour des maux que je n’avois pas, je finis par savoir que ma maladie, incurable sans être mortelle, dureroit autant que moi. Mon imagination, réprimée par cette connoissance, ne me fit plus voir en perspective une mort cruelle dans les douleurs du calcul.

Délivré des maux imaginaires, plus cruels pour moi que les maux réels, j’endurai plus paisiblement ces derniers. Il est constant que depuis ce temps, j’ai beaucoup moins souffert de la maladie que je n’avois fait jusqu’alors, & je ne me rappelle jamais que je dois ce soulagement à M. de Luxembourg, sans m’attendrir de nouveau sur sa mémoire.

Revenu, pour ainsi dire, à la vie, & plus occupé que jamais du plan sur lequel j’en voulois passer le reste, je n’attendois, pour l’exécuter que la publication de l’Emile. Je songeois à la Touraine où j’avois déjà été, & qui me plaisoit beaucoup, tant pour la douceur du climat que pour celle des habitans.

La terra molle lieta e dilettosa

Simile a se l’habitator produce.

J’avois déjà parlé de mon projet à M. de Luxembourg, qui m’en avoit voulu détourner ; je lui en reparlai derechef, comme d’une chose résolue. Alors il me proposa le château de Merlou, à quinze lieues de Paris, comme un asyle qui