Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/286

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lui est employé pour me rendre le séjour de sa maison agréable ; il y a des inconvéniens, mais où n’y en a - t - il pas ? Si j’avois à choisir de nouveau dans toute l’Angleterre, je ne choisirois pas d’autre habitation que celle-ci ; ainsi j’y passerai très-patiemment tout le temps que j’y dois vivre ; & si j’y dois mourir, le plus grand mal que j’y trouve, est de mourir loin de vous, & que l’hôte de mon cœur ne soit pas aussi celui de mes cendres ; car je me souviendrai toujours avec attendrissement de notre premier projet ; & les idées tristes, mais douces qu’il me rappelle, valent surement mieux que celles du bal de votre folle amie. Mais je ne veux pas m’engager dans ces sujets mélancoliques qui vous seroient mal augurer de mon état présent, quoiqu’à tort. Et je vous dirai qu’il m’est venu cette semaine de la compagnie de Londres, hommes & femmes, qui tous à mon accueil, à mon air, à ma manière de vivre, ont jugé, contre ce qu’ils avoient pensé avant de me voir, que j’étois heureux dans ma retraite ; & il est vrai que je n’ai jamais vécu plus à mon aise, ni mieux suivi mon humeur du matin au soir. Il est certain que la fausse lettre du Roi de Prusse & les premières clabauderies de Londres m’ont allarmé dans la crainte que cela n’influât sur mon repos dans cette province, & qu’on n’y voulût renouveler les scènes de Motiers. Mais sitôt que j’ai été tranquillisé sur ce chapitre, & qu’étant une fois connu dans mon voisinage, j’ai vu qu’il étoit impossible que les choses y prissent ce tour-là, je me suis moqué de tout le reste, & si bien que je suis le premier à rire de toutes leurs folies. Il n’y a que la noirceur de celui qui sous main