Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/388

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très-bien malgré son âge, & j’espérerois la même chose de Madame la C., si la fracture n’étoit dans une place où le traitement est incomparablement plus difficile & plus douloureux. Toutefois avec beaucoup de résignation, de patience, de temps, & les soins d’un homme habile, la cure est également possible, & il n’est pas déraisonnable de l’espérer. C’est tout ce qu’il m’est permis de dire dans cette fatale circonstance pour notre commune consolation. Ce malheur fait aux miens, dans mon cœur, une diversion bien funeste, mais réelle pourtant, en ce qu’au sentiment des maux de ceux qui nous sont chers, se joint l’impression tendre de notre attachement pour eux, qui n’est jamais sans quelque douceur, au lieu que le sentiment de nos propres maux, quand ils sont grands & sans remède, n’est que sec & sombre, il ne porte aucun adoucissement avec soi. Vous n’attendez pas de moi, mon cher hôte, les froides & vaines sentences des gens qui ne sentent rien ; on ne trouve guères pour ses amis les consolations qu’on ne peut trouver pour soi-même. Mais cependant je ne puis m’empêcher de remarquer que votre affliction ne raisonne pas juste, quand elle s’irrite par l’idée que ce triste événement n’est pas dans l’ordre des choses attachées à la condition humaine. Rien, mon cher hôte, n’est plus dans cet ordre, que les accidens imprévus qui troublent, altèrent & abrégent la vie. C’est avec cette dépendance que nous sommes nés ; elle est attachée à notre nature & à notre constitution. S’il y a des coups qu’on doive endurer avec patience, ce sont ceux qui nous viennent de l’inflexible nécessité, & auxquels aucune volonté