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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/50

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qui s’éleva contre moi dans toute l’Europe avec une fureur qui n’eut jamais d’exemple. Toutes les gazettes, tous les journaux, toutes les brochures sonnèrent le plus terrible tocsin. Les François sur-tout, ce peuple si doux, si poli, si généreux, qui se pique si fort de bienséance, & d’égards pour les malheureux, oubliant tout d’un coup ses vertus favorites, se signala par le nombre, & la violence des outrages dont il m’accabloit à l’envi. J’étois un impie, un athée, un forcené, un enragé, une bête féroce, un loup. Le continuateur du journal de Trévoux fit sur ma prétendue Lycanthropie un écart qui montroit assez bien la sienne. Enfin, vous eussiez dit qu’on craignoit à Paris de se faire une affaire avec la police, si, publiant un écrit sur quelque sujet que ce pût être, on manquoit d’y larder quelque insulte contre moi. En cherchant vainement la cause de cette unanime animosité, je fus prêt à croire que tout le monde étoit devenu fou. Quoi ! le rédacteur de la Paix perpétuelle souffle la discorde ; l’éditeur du Vicaire Savoyard est un impie ; l’auteur de la Nouvelle Héloise est un loup ; celui de l’Emile est un enragé. Eh ! mon Dieu, qu’aurais-je donc été, si j’avois publié le livre de l’Esprit, ou quelque autre ouvrage semblable ? Et pourtant, dans l’orage qui s’éleva contre l’auteur de ce livre, le public, loin de joindre sa voix à celle de ses persécuteurs, le vengea d’eux par ses éloges. Que l’on compare son livre, & les miens, l’accueil différent qu’ils ont reçu, les traitemens faits aux deux auteurs dans les divers états de l’Europe ; qu’on trouve à ces différences des causes qui puissent contenter un homme sensé : voilà tout ce que je demande, & je me tais.