Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/54

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me dis : Quand Jean-Jacques s’élève à côté de Coriolan, Frédéric sera-t-il au-dessous du général des Volsques ?

Le colonel Roguin voulut absolument passer avec moi la montagne, & venir m’installer à Motiers. Une belle-sœur de Mde. Boy de la Tour, appelée Mde. Girardier, à qui la maison que j’allois occuper étoit très commode, ne me vit pas arriver avec un certain plaisir ; cependant elle me mit de bonne grace en possession de mon logement, & je mangeai chez elle en attendant que Thérèse fût venue, & que mon petit ménage fût établi.

Depuis mon départ de Montmorency, sentant bien que je serois désormois fugitif sur la terre, j’hésitois à permettre qu’elle vint me joindre, & partager la vie errante à laquelle je me voyois condamné. Je sentois que par cette catastrophe nos relations alloient changer, & que ce qui jusqu’alors avoit été faveur, & bienfoit de ma part le seroit désormois de la sienne. Si son attachement restoit à l’épreuve de mes malheurs, elle en seroit déchirée, & sa douleur ajouteroit à mes maux. Si ma disgrâce attiédissoit son cœur, elle me feroit valoir sa constance comme un sacrifice ; & au lieu de sentir le plaisir que j’avois à partager avec elle mon dernier morceau de pain, elle ne sentiroit que le mérite qu’elle auroit de vouloir bien me suivre partout où le sort me forçoit d’aller.

Il faut tout dire : je n’ai dissimulé ni les vices de ma pauvre maman, ni les miens ; je ne dois pas faire plus de grace à Thérèse, & quelque plaisir que je prenne à rendre honneur à une personne qui m’est si chère, je ne veux pas