Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/217

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la conduite d’un homme échauffé de vin n’est que l’effet de ce qui se passe au fond de son cœur dans les autres tems. Croirai-je que dans un état où l’on ne déguise rien vous vous montrâtes tel que vous êtes. Que deviendrois-je si vous pensiez à jeun comme vous parliez hier au soir ? Plutôt que de supporter un pareil mépris j’aimerois mieux éteindre un feu si grossier, & perdre un amant qui sachant si mal honorer sa maîtresse mériteroit si peu d’en être estimé. Dites-moi, vous qui chérissez les sentimens honnêtes, seriez-vous tombé dans cette erreur cruelle que l’amour heureux n’a plus de ménagement à garder avec la pudeur, & qu’on ne doit plus de respect à celle dont on n’a plus de rigueur à craindre ? Ah ! si vous aviez toujours pensé ainsi, vous auriez été moins à redouter & je ne serois pas si malheureuse ! Ne vous y trompez pas, mon ami, rien n’est si dangereux pour les vrais amans que les préjugés du monde ; tant de gens parlent d’amour, & si peu savent aimer, que la plupart prennent pour ses pures & douces loix les viles maximes d’un commerce abject, qui, bientôt assouvi de lui-même, a recours aux monstres de l’imagination & se déprave pour se soutenir.

Je ne sais si je m’abuse ; mais il me semble que le véritable amour est le plus chaste de tous les liens. C’est lui, c’est son feu divin qui sait épurer nos penchans naturels, en les concentrant dans un seul objet ; c’est lui qui nous dérobe aux tentations, & qui fait qu’excepté cet objet unique, un sexe n’est plus rien pour l’autre. Pour une femme ordinaire, tout homme est toujours un homme ; mais pour celle dont le cœur aime, il n’y a point d’homme que son amant.