Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/341

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Ô mon doux ami ! tu vas t’éloigner de moi ?… Ô mon bien-aimé ! tu vas fuir ta Julie !… Il le faut ; il faut nous séparer si nous voulons nous revoir heureux un jour & l’effet des soins que tu vas prendre est notre dernier espoir. Puisse une si chére idée t’animer, te consoler durant cette amere & longue séparation ! puisse-t-elle te donner cette ardeur qui surmonte les obstacles & dompte la fortune ! Hélas ! le monde & les affaires seront pour toi des distractions continuelles & feront une utile diversion aux peines de l’absence. Mais je vais rester abandonnée à moi seule ou livrée aux persécutions & tout me forcera de te regretter sans cesse. Heureuse au moins si de vaines allarmes n’aggravoient mes tourmens réels, & si avec mes propres maux je ne sentois encore en moi tous ceux auxquels tu vas t’exposer !

Je frémis en songeant aux dangers de mille especes que vont courir ta vie & tes mœurs. Je prends en toi toute la confiance qu’un homme peut inspirer ; mais puisque le sort nous sépare, ah ! mon ami, pourquoi n’es-tu qu’un homme ? Que de conseils te seroient nécessaires dans ce monde inconnu où tu vas t’engager ! Ce n’est pas à moi, jeune, sans expérience, & qui ai moins d’étude & de réflexion que toi, qu’il appartient de te donner là-dessus des avis ; c’est un soin que je laisse à Milord Edouard. Je me borne à te recommander deux choses, parce qu’elles tiennent plus au sentiment qu’à l’expérience & que, si je connois peu le monde, je crois bien connoître ton cœur ; n’abandonne jamais la vertu, & n’oublie jamais ta Julie.