Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/365

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des traits, ce n’est point entre deux amans que ce langage est de saison ; & le jargon fleuri de la galanterie est beaucoup plus éloigné du sentiment que le ton le plus simple qu’on puisse prendre. J’en appelle à toi-même. L’esprit eut-il jamais le tems de se montrer dans nos tête-à-tête & si le charme d’un entretien passionné l’écarte & l’empêche de paraître, comment des lettres, que l’absence remplit toujours d’un peu d’amertume & où le cœur parle avec plus d’attendrissement, le pourroient-elles supporter ? Quoique toute grande passion soit sérieuse & que l’excessive joie elle-même arrache des pleurs plutôt que des ris, je ne veux pas pour cela que l’amour soit toujours triste ; mais je veux que sa gaieté soit simple, sans ornement, sans art, nue comme lui ; qu’elle brille de ses propres grâces & non de la parure du bel esprit.

L’inséparable, dans la chambre de laquelle je t’écris cette lettre, prétends que j’étois, en la commençant, dans cet état d’enjouement que l’amour inspire ou tolere ; mais je ne sais ce qu’il est devenu. À mesure que j’avançois, une certaine langueur s’emparoit de mon ame & me laissoit à peine la force de t’écrire les injures que la mauvaise a voulu t’adresser ; car il est bon de t’avertir que la critique de ta critique est bien plus de sa façon que de la mienne ; elle m’en a dicté surtout le premier article en riant comme une folle & sans me permettre d’y rien changer. Elle dit que c’est pour t’apprendre à manquer de respect au Marini, qu’elle protege & que tu plaisantes.

Mais sais-tu bien ce qui nous met toutes deux de si bonne