Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/412

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Il semble que tout l’ordre des sentimens naturels soit ici renversé. Le cœur n’y forme aucune chaîne ; il n’est point permis aux filles d’en avoir un ; ce droit est réservé aux seules femmes mariées & n’exclut du choix personne que leurs maris. Il vaudroit mieux qu’une mere eût vingt amans que sa fille un seul. L’adultere n’y révolte point, on n’y trouve rien de contraire à la bienséance : les Romans les plus décents, ceux que tout le monde lit pour s’instruire, en sont pleins ; & le désordre n’est plus blâmable sitôt qu’il est joint à l’infidélité. Ô Julie ! telle femme qui n’a pas craint de souiller cent fois le lit conjugal oseroit d’une bouche impure accuser nos chastes amours & condamner l’union de deux cœurs sinceres qui ne surent jamais manquer de foi ! On diroit que le mariage n’est pas à Paris de la même nature que partout ailleurs. C’est un sacrement, à ce qu’ils prétendent & ce sacrement n’a pas la force des moindres contrats civils ; il semble n’être que l’accord de deux personnes libres qui conviennent de demeurer ensemble, de porter le même nom, de reconnoître les mêmes enfants, mais qui n’ont, au surplus, aucune sorte de droit l’une sur l’autre ; & un mari qui s’aviseroit de contrôler ici la mauvaise conduite de sa femme n’exciteroit pas moins de murmures que celui qui souffriroit chez nous le désordre public de la sienne. Les femmes, de leur côté, n’usent pas de rigueur envers leurs maris & l’on ne voit pas encore qu’elles les fassent punir d’imiter leurs infidélités. Au reste, comment attendre de part ou d’autre un effet plus honnête d’un lien où le cœur n’a