Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/428

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étant d’une autre nature que nous, on en peut penser ce qu’on veut ; mais Caton étoit un homme & combien d’hommes ont le droit de croire que Caton ait pu exister ?

L’Opéra n’est donc point ici comme ailleurs une troupe de gens payés pour se donner en spectacle au public : ce sont, il est vrai, des gens que le public paye & qui se donnent en spectacle ; mais tout cela change de nature, attendu que c’est une Académie Royale de musique, une espece de cour souveraine qui juge sans appel dans sa propre cause & ne se pique pas autrement de justice ni de fidélité [1]. Voilà, cousine, comment, dans certains pays, l’essence des choses tient aux mots & comment des noms honnêtes suffisent pour honorer ce qui l’est le moins.

Les membres de cette noble Académie ne dérogent point. En revanche ils sont excommuniés, ce qui est précisément le contraire de l’usage des autres pays ; mais peut-être, ayant eu le choix, aiment-ils mieux être nobles & damnés, que roturiers & bénis. J’ai vu sur le théâtre un chevalier moderne aussi fier de son métier qu’autrefois l’infortuné Labérius fut humilié du sien [2], quoiqu’il le fît par force & ne récitât que ses propres ouvrages. Aussi l’ancien Labérius ne put-il reprendre sa place au cirque parmi les chevaliers romains ; tandis que le nouveau en trouve tous les jours une sur les

  1. Dit en mots plus ouverts, cela n’en seroit que plus vrai ; mais ici je suis partie & je dois me taire. Par-tout où l’on est moins soumis aux loix qu’aux hommes, on doit savoit endurer l’injustice.
  2. Forcé par le Tyran de monter sur le théâtre, il déplora son sort par des vers tres-touchans & tres-capables d’allumer l’indignation de tout honnête homme contre ce César si vanté. Après avoir, dit-il, vécu