Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/503

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la rue : je l’allai chercher. Je le pris par la main ; il trembloit comme la feuille. En passant dans l’antichambre les forces lui manquerent ; il respiroit avec peine, & fut contraint de s’asseoir.

Alors, démêlant quelques objets à la foible lueur d’une lumiere éloignée : "Oui, dit-il avec un profond soupir, je reconnois les mêmes lieux. Une fois en ma vie je les ai traversés… à la même heure… avec le même mystere… j’étois tremblant comme aujourd’hui… le cœur me palpitoit de même… Ô téméraire ! j’étois mortel, & j’osois goûter… Que vais-je voir maintenant dans ce même objet qui faisoit, & partageoit mes transports ? L’image du trépas, un appareil de douleur, la vertu malheureuse, & la beauté mourante !

Chere cousine, j’épargne à ton pauvre cœur le détail de cette attendrissante scene. Il te vit, & se tut ; il l’avoit promis : mais quel silence ! il se jeta à genoux ; il baisoit tes rideaux en sanglotant ; il élevoit les mains, & les yeux ; il poussoit de sourds gémissemens ; il avoit peine à contenir sa douleur, & ses cris. Sans le voir, tu sortis machinalement une de tes mains ; il s’en saisit avec une espece de fureur ; les baisers de feu qu’il appliquoit sur cette main malade t’éveillerent mieux que le bruit, & la voix de tout ce qui t’environnoit. Je vis que tu l’avois reconnu ; & malgré sa résistance, & ses plaintes, je l’arrachai de la chambre à l’instant, espérant éluder l’idée d’une si courte apparition par le prétexte du délire. Mais voyant ensuite que tu m’en disois