Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/585

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fois toutes tes vertus ; garde au moins ton ancienne franchise, & dis ouvertement à ton ami : "J’ai perdu l’espoir de corrompre une honnête femme, me voilà forcé d’être homme de bien ; j’aime mieux mourir."

Tu t’ennuies de vivre, & tu dis : "La vie est un mal." Tôt ou tard tu seras consolé, & tu diras : "La vie est un bien." Tu diras plus vrai sans mieux raisonner ; car rien n’aura changé que toi. Change donc des aujourd’hui ; & puisque c’est dans la mauvaise disposition de ton ame qu’est tout le mal, corrige tes affections déréglées, & ne brûle pas ta maison pour n’avoir pas la peine de la ranger."

Je souffre, me dis-tu ; dépend-il de moi de ne pas souffrir ?" D’abord c’est changer l’état de la question ; car il ne s’agit pas de savoir si tu souffres, mais si c’est un mal pour toi de vivre. Passons. Tu souffres, tu dois chercher à ne plus souffrir. Voyons s’il est besoin de mourir pour cela.

Considere un moment le progres naturel des maux de l’ame directement opposé au progres des maux du corps, comme les deux substances sont opposées par leur nature. Ceux-ci s’invéterent, s’empirent en vieillissant, & détruisent enfin cette machine mortelle. Les autres, au contraire, altérations externes, & passageres d’un être immortel, & simple, s’effacent insensiblement, & le laissent dans sa forme originelle que rien ne sauroit changer. La tristesse, l’ennui, les regrets, le désespoir, sont des douleurs peu durables qui ne s’enracinent jamais dans l’ame ; & l’expérience dément toujours ce sentiment d’amertume qui nous fait regarder nos peines comme éternelles. Je dirai plus : je ne puis croire