Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/94

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combien je suis à plaindre, & je tirerai de votre bonheur même la consolation de mes maux. Oui, chére amante, il me semble que mon amour est aussi parfait que son adorable objet ; tous les désirs enflammés par vos charmes s’éteignent dans les perfections de votre ame ; je la vois si paisible, que je n’ose en troubler la tranquillité. Chaque fois que je suis tenté de vous dérober la moindre caresse, si le danger de vous offenser me retient, mon cœur me retient encore plus par la crainte d’altérer une félicité si pure ; dans le prix des biens où j’aspire, je ne vois plus que ce qu’ils vous peuvent coûter ; & ne pouvant accorder mon bonheur avec le vôtre, jugez comment j’aime, c’est au mien que j’ai renoncé.

Que d’inexplicables contradictions dans les sentimens que vous m’inspirez ! Je suis à la fois soumis & téméraire, impétueux & retenu ; je ne saurois lever les yeux sur vous sans éprouver des combats en moi-même. Vos regards, votre voix, portent au cœur, avec l’amour, l’attroit touchant de l’innocence ; c’est un charme divin qu’on auroit regret d’effacer. Si j’ose former des vœux extrêmes, ce n’est plus qu’en votre absence ; mes désirs, n’osant aller jusqu’à vous, s’adressent à votre image, & c’est sur elle que je me venge du respect que je suis contraint de vous porter.

Cependant je languis & me consume ; le feu coule dans mes veines ; rien ne sauroit l’éteindre ni le calmer, & je l’irrite en voulant le contraindre. Je dois être heureux, je le suis, j’en conviens ; je ne me plains point de mon sort ; tel qu’il est je n’en changerois pas avec les Rois de la terre.