Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/136

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comment, ayant voulu m’évertuer à mon tour & hasarder de m’extasier à la vue d’une tulipe dont la couleur me parut vive & la forme élégante, je fus moqué, hué, sifflé de tous les savants & comment le professeur du jardin, passant du mépris de la fleur à celui du panégyriste, ne daigna plus me regarder de toute la séance. Je pense, ajoutai-je, qu’il eut bien du regret à sa baguette & à son parasol profanés.

Ce goût, dit M. de Wolmar, quand il dégénere en manie, a quelque chose de petit & de vain qui le rend puéril & ridiculement coûteux. L’autre, au moins, a de la noblesse, de la grandeur & quelque sorte de vérité ; mais qu’est-ce que la valeur d’une patte ou d’un oignon, qu’un insecte ronge ou détruit peut-être au moment qu’on le marchande, ou d’une fleur précieuse à midi & flétrie avant que le soleil soit couché ? Qu’est-ce qu’une beauté conventionnelle qui n’est sensible qu’aux yeux des curieux & qui n’est beauté que parce qu’il leur plaît qu’elle le soit ? Le tems peut venir qu’on cherchera dans les fleurs tout le contraire de ce qu’on y cherche aujourd’hui & avec autant de raison ; alors vous serez le docte à votre tour & votre curieux l’ignorant. Toutes ces petites observations qui dégénerent en étude ne conviennent point à l’homme raisonnable qui veut donner à son corps un exercice modéré, ou délasser son esprit à la promenade en s’entretenant avec ses amis. Les fleurs sont faites pour amuser nos regards en passant & non pour être si curieusement anatomisées [1]. Voyez leur reine briller de toutes parts

  1. Le sage Wolmar n’y avoit pas bien regardé. Lui qui savoit si bien observer les hommes, observoit-il si mal la nature ? Ignoroit-il