Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/143

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avec la rosée un air qu’elle a respiré ; son goût dans ses amusemens me rendra présens tous ses charmes & je la trouverai par-tout comme elle est au fond de mon cœur.

En entrant dans l’Elisée avec ces dispositions, je me suis subitement rappellé le dernier mot que me dit hier M. de Wolmar à peu près dans la même place. Le souvenir de ce seul mot a changé sur-le-champ tout l’état de mon ame. J’ai cru voir l’image de la vertu où je cherchois celle du plaisir. Cette image s’est confondue dans mon esprit avec les traits de Madame de Wolmar & pour la premiere fois depuis mon retour j’ai vu Julie en son absence, non telle qu’elle fut pour moi & que j’aime encore à me la représenter, mais telle qu’elle se montre à mes yeux tous les jours. Milord, j’ai cru voir cette femme si charmante, si chaste & si vertueuse, au milieu de ce même cortege qui l’entouroit hier. Je voyois autour d’elle ses trois aimables enfans, honorable & précieux gage de l’union conjugale & de la tendre amitié, lui faire & recevoir d’elle mille touchantes caresses. Je voyois à ses côtés le grave Wolmar, cet époux si chéri, si heureux, si digne de l’être. Je croyois voir son œil pénétrant & judicieux percer au fond de mon cœur, & m’en faire rougir encore ; je croyois entendre sortir de sa bouche des reproches trop mérités & des leçons trop mal écoutées. Je voyois à sa suite cette même Fanchon Regard, vivante preuve du triomphe des vertus & de l’humanité sur le plus ardent amour. Ah ! quel sentiment coupable eût pénétré jusqu’à elle à travers cette inviolable escorte ? Avec quelle indignation j’eusse étouffé les vils transports d’une passion criminelle & mal éteinte &