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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/152

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de me rendre le fils que j’ai perdu. J’ai une fille unique à marier ; elle n’est pas sans mérite ; elle a le cœur sensible & l’amour de son devoir lui fait aimer tout ce qui s’y rapporte. Ce n’est ni une beauté ni un prodige d’esprit ; mais venez la voir & croyez que, si vous ne sentez rien pour elle, vous ne sentirez jamais rien pour personne au monde. Je vins, je vous vis, Julie & je trouvai que votre pere m’avoit parlé modestement de vous. Vos transports, vos larmes de joie en l’embrassant, me donnerent la premiere ou plutôt la seule émotion que j’aie éprouvée de ma vie. Si cette impression fut légere, elle étoit unique ; & les sentimens n’ont besoin de force pour agir qu’en proportion de ceux qui leur résistent. Trois ans d’absence ne changerent point l’état de mon cœur. L’état du vôtre ne m’échappa pas à mon retour ; & c’est ici qu’il faut que je vous venge d’un aveu qui vous a tant coûté. Juge, ma chére, avec quelle étrange surprise j’appris alors que tous mes secrets lui avoient été révélés avant mon mariage & qu’il m’avoit épousée sans ignorer que j’appartenois à un autre.

Cette conduite étoit inexcusable, a continué M. de Wolmar. J’offensois la délicatesse ; je péchois contre la prudence ; j’exposois votre honneur & le mien ; je devois craindre de nous précipiter tous deux dans des malheurs sans ressource ; mais je vous aimais & n’aimois que vous ; tout le reste m’étoit indifférent. Comment réprimer la passion même la plus faible, quand elle est sans contrepoids ? Voilà l’inconvénient des caracteres froids & tranquilles. Tout va bien tant que leur froideur les garantit des tentations ; mais s’il