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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/153

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en survient une qui les atteigne, ils sont aussi-tôt vaincus qu’attaqués & la raison, qui gouverne tandis qu’elle est seule, n’a jamais de force pour résister au moindre effort. Je n’ai été tenté qu’une fois & j’ai succombé. Si l’ivresse de quelque autre passion m’eût fait vaciller encore, j’aurois fait autant de chutes que de faux-pas ; il n’y a que des ames de feu qui sachent combattre & vaincre. Tous les grands efforts, toutes les actions sublimes sont leur ouvrage ; la froide raison n’a jamais rien fait d’illustre & l’on ne triomphe des passions qu’en les opposant l’une à l’autre. Quand celle de la vertu vient à s’élever, elle domine seule & tient tout en équilibre ; voilà comment se forme le vrai sage, qui n’est pas plus qu’un autre à l’abri des passions, mais qui seul sait les vaincre par elles-mêmes, comme un pilote fait route par les mauvais vents.

Vous voyez que je ne prétends pas exténuer ma faute ; si c’en eût été une, je l’aurois faite infailliblement ; mais, Julie, je vous connoissois & n’en fis point en vous épousant. Je sentis que de vous seule dépendoit tout le bonheur dont je pouvois jouir & que si quelqu’un étoit capable de vous rendre heureuse, c’étoit moi. Je savois que l’innocence & la paix étoient nécessaires à votre cœur, que l’amour dont il étoit préoccupé ne les lui donneroit jamais & qu’il n’y avoit que l’horreur du crime qui pût en chasser l’amour. Je vis que votre ame étoit dans un accablement dont elle ne sortiroit que par un nouveau combat & que ce seroit en sentant combien vous pouviez encore être estimable que vous apprendriez à le devenir.