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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/157

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ma conduite a l’air bizarre & choque toutes les maximes communes ; mais les maximes deviennent moins générales à mesure qu’on lit mieux dans les cœurs ; & le mari de Julie ne doit pas se conduire comme un autre homme. Mes enfans, nous dit-il d’un ton d’autant plus touchant qu’il partoit d’un homme tranquille, soyez ce que vous êtes & nous serons tous contents. Le danger n’est que dans l’opinion : n’ayez pas peur de vous & vous n’aurez rien à craindre ; ne songez qu’au présent & je vous réponds de l’avenir. Je ne puis vous en dire aujourd’hui davantage ; mais si mes projets s’accomplissent & que mon espoir ne m’abuse pas, nos destinées seront mieux remplies & vous serez tous deux plus heureux que si vous aviez été l’un à l’autre.

En se levant il nous embrassa & voulut que nous nous embrassassions aussi, dans ce lieu… & dans ce lieu même où jadis… Claire, ô bonne Claire, combien tu m’as toujours aimée ! Je n’en fis aucune difficulté. Hélas ! que j’aurois eu tort d’en faire ! Ce baiser n’eut rien de celui qui m’avoit rendu le bosquet redoutable : je m’en félicitai tristement & je connus que mon cœur étoit plus changé que jusque-là je n’avois osé le croire.

Comme nous reprenions le chemin du logis, mon mari m’arrêta par la main & me montrant ce bosquet dont nous sortions, il me dit en riant : Julie, ne craignez plus cet asile, il vient d’être profané. Tu ne veux pas me croire, cousine, mais je te jure qu’il a quelque don surnaturel pour lire au fond des cœur : Que le Ciel le lui laisse toujours !