Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/160

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Cousine, crois-tu qu’il fût aisé d’oser répondre à ce langage ?

J’ai pourtant cherché un moment dans l’apres-midi pour prendre en particulier mon mari & sans entrer dans des raisonnemens qu’il ne m’étoit pas permis de pousser fort loin, je me suis bornée à lui demander deux jours de délai : ils m’ont été accordés sur-le-champ. Je les emploie à t’envoyer cet exprès & à attendre ta réponse pour savoir ce que je dois faire.

Je sais bien que je n’ai qu’à prier mon mari de ne point partir du tout & celui qui ne me refusa jamais rien ne me refusera pas une si légere grâce. Mais, ma chére, je vois qu’il prend plaisir à la confiance qu’il me témoigne ; & je crains de perdre une partie de son estime, s’il croit que j’aie besoin de plus de réserve qu’il ne m’en permet. Je sais bien encore que je n’ai qu’à dire un mot à Saint-Preux & qu’il n’hésitera pas à l’accompagner ; mais mon mari prendra-t-il ainsi le change & puis-je faire cette démarche sans conserver sur Saint-Preux un air d’autorité qui sembleroit lui laisser à son tour quelque sorte de droits ? Je crains d’ailleurs qu’il n’infere de cette précaution que je la sens nécessaire, & ce moyen, qui semble d’abord le plus facile, est peut-être au fond le plus dangereux. Enfin, je n’ignore pas que nulle considération ne peut être mise en balance avec un danger réel ; mais ce danger existe-t-il en effet ? Voilà précisément le doute que tu dois résoudre.

Plus je veux sonder l’état présent de mon ame, plus j’y trouve de quoi me rassurer. Mon cœur est pur, ma conscience