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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/203

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elles en chercheroient au loin de plus dangereux & ne seroient à leur aise dans leur propre maison, que quand elles y seroient étrangeres. Il faut une ame saine pour sentir les charmes de la retraite ; on ne voit gueres que des gens de bien se plaire au sein de leur famille & s’y renfermer volontairement ; s’il est au monde une vie heureuse, c’est sans doute celle qu’ils y passent. Mais les instrumens du bonheur ne sont rien pour qui ne sait pas les mettre en œuvre & l’on ne sent en quoi le vrai bonheur consiste qu’autant qu’on est propre à le goûter.

S’il faloit dire avec précision ce qu’on fait dans cette maison pour être heureux, je croirois avoir bien répondu en disant : on y sait vivre ; non dans le sens qu’on donne en France à ce mot, qui est d’avoir avec autrui certaines manieres établies par la mode ; mais de la vie de l’homme & pour laquelle il est né ; de cette vie dont vous me parlez, dont vous m’avez donné l’exemple, qui dure au-delà d’elle-même & qu’on ne tient pas pour perdue au jour de la mort.

Julie a un pere qui s’inquiete du bien-être de sa famille ; elle a des enfans à la subsistance desquels il faut pourvoir convenablement. Ce doit être le principal soin de l’homme sociable & c’est aussi le premier dont elle & son mari se sont conjointement occupés. En entrant en ménage ils ont examiné l’état de leurs biens ; ils n’ont pas tant regardé s’ils étoient proportionnés à leur condition qu’à leurs besoins & voyant qu’il n’y avoit point de famille honnête qui ne dût s’en contenter, ils n’ont pas eu assez mauvaise opinion de