Aller au contenu

Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/222

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

étoit fait pour connoître & goûter tous les plaisirs & long-tems elle n’aima si cherement la vertu même que comme la plus douce des voluptés. Aujourd’hui qu’elle sent en paix cette volupté suprême, elle ne se refuse aucune de celles qui peuvent s’associer avec celle-là : mais sa maniere de les goûter ressemble à l’austérité de ceux qui s’y refusent & l’art de jouir est pour elle celui des privations ; non de ces privations pénibles & douloureuses qui blessent la nature & dont son auteur dédaigne l’hommage insensé, mais des privations passageres & modérées qui conservent à la raison son empire & servant d’assaisonnement au plaisir en préviennent le dégoût & l’abus. Elle prétend que tout ce qui tient aux sens & n’est pas nécessaire à la vie change de nature aussi-tôt qu’il tourne en habitude, qu’il cesse d’être un plaisir en devenant un besoin, que c’est à la fois une chaîne qu’on se donne & une jouissance don on se prive & que prévenir toujours les desirs n’est pas l’art de les contenter, mais de les éteindre. Tout celui qu’elle emploie à donner du prix aux moindres choses est de se les refuser vingt fois pour en jouir une. Cette ame simple se conserve ainsi son premier ressort : son goût ne s’use point ; elle n’a jamais besoin de le ranimer par des excès & je la vois souvent savourer avec délices un plaisir d’enfant qui seroit insipide à tout autre.

Un objet plus noble qu’elle se propose encore en cela est de rester maîtresse d’elle-même, d’accoutumer ses passions à l’obéissance & de plier tous ses desirs à la regle. C’est un nouveau moyen d’être heureuse ; car on ne jouit sans inquiétude que de ce qu’on peut perdre sans peine ; & si le vrai bonheur