Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/267

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voudroit tenir, car il sent la même impossibilité d’avoir l’un & l’autre. Il ne voit rien dans ce qu’on lui ôte, sinon qu’il ne l’a pu garder ; ni dans ce qu’on lui refuse, sinon qu’il n’a pu l’obtenir ; & loin de battre la table contre laquelle il se blesse, il ne battroit pas la personne qui lui résiste. Dans tout ce qui le chagrine il sent l’empire de la nécessité, l’effet de sa propre foiblesse, jamais l’ouvrage du mauvais vouloir d’autrui… Un moment ! dit-elle un peu vivement, voyant que j’allois répondre ; je pressens votre objection ; j’y vois venir à l’instant.

Ce qui nourrit les criailleries des enfans, c’est l’attention qu’on y fait, soit pour leur céder, soit pour les contrarier. Il ne leur faut quelquefois pour pleurer tout un jour, que s’apercevoir qu’on ne veut pas qu’ils pleurent. Qu’on les flatte ou qu’on les menace, les moyens qu’on prend pour les faire taire sont tous pernicieux & presque toujours sans effet. Tant qu’on s’occupe de leurs pleurs, c’est une raison pour eux de les continuer ; mais ils s’en corrigent bientôt quand ils voyent qu’on n’y prend pas garde ; car, grands & petits, nul n’aime à prendre une peine inutile. Voilà précisément ce qui est arrivé à mon aîné. C’étoit d’abord un petit criard qui étourdissoit tout le monde ; & vous êtes témoin qu’on ne l’entend pas plus à présent dans la maison que s’il n’y avoit point d’enfant. Il pleure quand il souffre ; c’est la voix de la nature qu’il ne faut jamais contraindre ; mais il se tait à l’instant qu’il ne souffre plus. Aussi fais-je une très-grande attention à ses pleurs, bien sûre qu’il n’en verse jamais en vain. Je gagne à cela de savoir à point