Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/268

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nommé quand il sent de la douleur & quand il n’en sent pas, quand il se porte bien & quand il est malade ; avantage qu’on perd avec ceux qui pleurent par fantaisie & seulement pour se faire apaiser. Au reste j’avoue que ce point n’est pas facile à obtenir des nourrices & des gouvernantes : car, comme rien n’est plus ennuyeux que d’entendre toujours lamenter un enfant & que ces bonnes femmes ne voyent jamais que l’instant présent, elles ne songent pas qu’à faire taire l’enfant aujourd’hui il en pleurera demain davantage. Le pis est que l’obstination qu’il contracte tire à conséquence dans un âge avancé. La même cause qui le rend criard à trois ans le rend mutin à douze, querelleur à vingt, impérieux à trente & insupportable toute sa vie.

Je viens maintenant à vous, me dit-elle en souriant. Dans tout ce qu’on accorde aux enfans ils voyent aisément le désir de leur complaire ; dans tout ce qu’on en exige ou qu’on leur refuse ils doivent supposer des raisons sans les demander. C’est un autre avantage qu’on gagne à user avec eux d’autorité plutôt que de persuasion dans les occasions nécessaires : car, comme il n’est pas possible qu’ils n’aperçoivent quelquefois la raison qu’on a d’en user ainsi, il est naturel qu’ils la supposent encore quand ils sont hors d’état de la voir. Au contraire, des qu’on a soumis quelque chose à leur jugement, ils prétendent juger de tout, ils deviennent sophistes, subtils, de mauvaise foi, féconds en chicanes, cherchant toujours à réduire au silence ceux qui ont la foiblesse de s’exposer à leurs petites lumieres. Quand on est contraint de leur rendre compte des choses qu’ils ne sont