Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/271

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l’agacer, l’admirer, attendre avec un lâche empressement les oracles qui sortent de sa bouche & se récrier avec des retentissemens de joie à chaque impertinence qu’il dit ? La tête d’un homme auroit bien de la peine à tenir à tous ces faux applaudissements ; jugez de ce que deviendra la sienne ! Il en est du babil des enfans comme des prédictions des almanachs. Ce seroit un prodige si, sur tant de vaines paroles, le hazard ne fournissoit jamais une rencontre heureuse. Imaginez ce que font alors les exclamations de la flatterie sur une pauvre mere déjà trop abusée par son propre cœur & sur un enfant qui ne sait ce qu’il dit & se voit célébrer ! Ne pensez pas que pour démêler l’erreur je m’en garantisse : non, je vois la faute & j’y tombe ; mais si j’admire les reparties de mon fils, au moins je les admire en secret ; il n’apprend point, en me les voyant applaudir, à devenir babillard & vain & les flatteurs, en me les faisant répéter, n’ont pas le plaisir de rire de ma faiblesse.

Un jour qu’il nous étoit venu du monde, étant allée donner quelques ordres, je vis en rentrant quatre ou cinq grands nigauds occupés à jouer avec lui & s’apprêtant à me raconter d’un air d’emphase je ne sais combien de gentillesses qu’ils venoient d’entendre & dont ils sembloient tout émerveillés. Messieurs, leur dis-je assez froidement, je ne doute pas que vous ne sachiez faire dire à des marionnettes de fort jolies choses ; mais j’espere qu’un jour mes enfans seront hommes, qu’ils agiront & parleront d’eux-mêmes & alors j’apprendrai toujours dans la joie de mon cœur tout ce qu’ils auront dit & fait de bien. Depuis qu’on a vu que cette maniere