Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/290

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Il est clair par la derniere de vos lettres qu’en effet une des miennes s’est perdue & cette perte a dû vous rendre les deux lettres suivantes fort obscures à bien des égards ; mais les éclaircissemens nécessaires pour les bien entendre viendront à loisir. Ce qui presse le plus à présent est de vous tirer de l’inquiétude où vous êtes sur le chagrin secret de Mde. de Wolmar.

Je ne vous redirai point la suite de la conversation que j’eus avec elle après le départ de son mari. Il s’est passé depuis bien des choses qui m’en ont fait oublier une partie & nous la reprîmes tant de fois durant son absence, que je m’en tiens au sommaire pour épargner des répétitions.

Elle m’apprit donc que ce même époux qui faisoit tout pour la rendre heureuse étoit l’unique auteur de toute sa peine & que plus leur attachement mutuel étoit sincere, plus il lui donnoit à souffrir. Le diriez-vous, milord ? Cet homme si sage, si raisonnable, si loin de toute espece de vice, si peu soumis aux passions humaines, ne croit rien de ce qui donne un prix aux vertus & dans l’innocence d’une vie irréprochable, il porte au fond de son cœur l’affreuse paix des méchans. La réflexion qui naît de ce contraste augmente la douleur de Julie ; & il semble qu’elle lui pardonneroit plutôt de méconnoître l’auteur de son être, s’il avoit plus de motifs pour le craindre ou plus d’orgueil pour le braver. Qu’un coupable apaise sa conscience aux dépens de sa raison, que l’honneur de penser autrement que le vulgaire anime celui qui dogmatise, cette erreur au moins se conçoit ; mais, poursuit-elle en soupirant, pour un si honnête