Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/337

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de vous-même, toujours achevant quelque folie & toujours commençant d’être sage ; car il y a long-tems que vous passez votre vie à vous reprocher le jour de la veille & à vous applaudir pour le lendemain.

Je vous avoue aussi que ce grand effort de courage, qui, si pres de nous, vous a fait retourner comme vous étiez venu, ne me paroit pas aussi merveilleux qu’à vous. Je le trouve plus vain que sensé & je crois qu’à tout prendre j’aimerois autant moins de force avec un peu plus de raison. Sur cette maniere de vous en aller, pourrait-on vous demander ce que vous êtes venu faire ? Vous avez eu honte de vous montrer, comme si la douceur de voir ses amis n’effaçoit pas cent fois le petit chagrin de leur raillerie ! N’étiez-vous pas trop heureux de venir nous offrir votre air effaré pour nous faire rire ? Eh bien donc ! je ne me suis pas moquée de vous alors ; mais je m’en moque tant plus aujourd’hui, quoique, n’ayant pas le plaisir de vous mettre en colere, je ne puisse pas rire de si bon cœur.

Malheureusement il y a pis encore : c’est que j’ai gagné toutes vos terreurs sans me rassurer comme vous. Ce rêve a quelque chose d’effrayant qui m’inquiete & m’attriste malgré que j’en aie. En lisant votre lettre je blâmois vos agitations ; en la finissant j’ai blâmé votre sécurité. L’on ne sauroit voir à la fois pourquoi vous étiez si ému & pourquoi vous êtes devenu si tranquille. Par quelle bizarrerie avez-vous gardé les plus tristes pressentiments, jusqu’au moment où vous avez pu les détruire & ne l’avez pas voulu ? Un pas, un