Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/343

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qu’il m’arrache le cœur de sa main avant de la profaner ainsi.

Cependant, que faire ? Comment me comporter ? Vous connoissez sa violence. On ne gagne rien avec lui par les discours & les siens depuis quelque tems ne sont pas propres à calmer mes craintes. J’ai feint d’abord de ne pas l’entendre. J’ai fait indirectement parler la raison en maximes générales : à son tour il ne m’entend point. Si j’essaye de le toucher un peu plus au vif, il répond des sentences & croit m’avoir réfuté. Si j’insiste, il s’emporte, il prend un ton qu’un ami devroit ignorer & auquel l’amitié ne sait point répondre. Croyez que je ne suis en cette occasion ni craintif, ni timide ; quand on est dans son devoir, on n’est que trop tenté d’être fier ; mais il ne s’agit pas ici de fierté, il s’agit de réussir & de fausses tentatives peuvent nuire aux meilleurs moyens. Je n’ose presque entrer avec lui dans aucune discussion ; car je sens tous les jours la vérité de l’avertissement que vous m’avez donné, qu’il est plus fort que moi de raisonnement & qu’il ne faut point l’enflammer par la dispute.

Il paroit d’ailleurs un peu refroidi pour moi. On diroit que je l’inquiete. Combien avec tant de supériorité à tous égards un homme est rabaissé par un moment de foiblesse ! le grand, le sublime Edouard a peur de son ami, de sa créature, de son éleve ! il semble même, par quelques mots jettés sur le choix de son séjour s’il ne se marie pas, vouloir tenter ma fidélité par mon intérêt. Il sait bien que je ne dois ni ne veux le quitter. Ô Wolmar ! je ferai mon