Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/371

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t’imiter ; soit que ma Julie épure tout ce qui l’approche, je me trouvai tout-à-fait tranquille & il ne me resta de mes premieres émotions qu’un sentiment très-doux, il est vrai, mais calme & paisible & qui ne demandoit rien de plus à mon cœur que la durée de l’état où j’étois.

Oui, chére amie, je suis tendre & sensible aussi-bien que toi ; mais je le suis d’une autre maniere. Mes affections sont plus vives ; les tiennes sont plus pénétrantes. Peut-être avec des sens plus animés, ai-je plus de ressources pour leur donner le change & cette même gaieté qui coûte l’innocence à tant d’autres me l’a toujours conservée. Ce n’a pas toujours été sans peine, il faut l’avouer. Le moyen de rester veuve à mon âge & de ne pas sentir quelquefois que les jours ne sont que la moitié de la vie ? Mais comme tu l’as dit & comme tu l’éprouves, la sagesse est un grand moyen d’être sage ; car avec toute ta bonne contenance, je ne te crois pas dans un cas fort différent du mien. C’est alors que l’enjouement vient à mon secours & fait plus, peut-être, pour la vertu que n’eussent fait les graves leçons de la raison. Combien de fois dans le silence de la nuit, où l’on ne peut s’échapper à soi-même, j’ai chassé des idées importunes en méditant des tours pour le lendemain ! combien de fois j’ai sauvé les dangers d’un tête-à-tête par une saillie extravagante ! tiens, ma chére, il y a toujours, quand on est foible, un moment où la gaieté devient sérieuse & ce moment ne viendra point pour moi. Voilà ce que je crois sentir ; & de quoi je t’ose répondre.

Après cela, je te confirme librement tout ce que je t’ai