Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/376

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soucis obligeans ne valent pas la moindre des miennes contre un second mariage.

Parlons sérieusement. Je n’ai pas l’ame assez basse pour faire entrer dans ces raisons la honte de me rétracter d’un engagement téméraire pris avec moi seule, ni la crainte du blâme en faisant mon devoir, ni l’inégalité des fortunes dans un cas où tout l’honneur est pour celui des deux à qui l’autre veut bien devoir la sienne ; mais, sans répéter ce que je t’ai dit tant de fois sur mon humeur indépendante & sur mon éloignement naturel pour le joug du mariage, je me tiens à une seule objection & je la tire de cette voix si sacrée que personne au monde ne respecte autant que toi. Leve cette objection, cousine, & je me rends. Dans tous ces jeux qui te donnent tant d’effroi, ma conscience est tranquille. Le souvenir de mon mari ne me fait point rougir ; j’aime à l’appeler à témoin de mon innocence & pourquoi craindrais-je de faire devant son image tout ce que je faisois devant lui ? En serait-il de même, ô Julie, si je violois les sains engagemens qui nous unirent ; que j’osasse jurer à un autre l’amour éternel que je lui jurai tant de fois ; que mon cœur, indignement partagé, dérobât à sa mémoire ce qu’il donneroit à son successeur & ne pût sans offenser l’un des deux remplir ce qu’il doit à l’autre ? Cette même image qui m’est si chére ne me donneroit qu’épouvante & qu’effroi ; sans cesse elle viendroit empoisonner mon bonheur & son souvenir qui fait la douceur de ma vie en feroit le tourment. Comment oses-tu me parler de donner un successeur à mon mari, après