Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/377

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avoir juré de n’en jamais donner au tien ? comme si les raisons que tu m’allegues t’étoient moins applicables en pareil cas ! Ils s’aimerent ? C’est pis encore. Avec quelle indignation verrait-il un homme qui lui fut cher usurper ses droits & rendre sa femme infidele ! Enfin, quand il seroit vrai que je ne lui dois plus rien à lui-même, ne dois-je rien au cher gage de son amour & puis-je croire qu’il eût jamais voulu de moi, s’il eût prévu que j’eusse un jour exposé sa fille unique à se voir confondue avec les enfans d’un autre ?

Encore un mot & j’ai fini. Qui t’a dit que tous les obstacles viendroient de moi seule ? En répondant de celui que cet engagement regarde, n’as-tu point plutôt consulté ton désir que ton pouvoir ? Quand tu serois sûre de son aveu, n’aurais-tu donc aucun scrupule de m’offrir un cœur usé par une autre passion ? Crois-tu que le mien dût s’en contenter & que je pusse être heureuse avec un homme que je ne rendrois pas heureux ? Cousine, penses-y mieux ; sans exiger plus d’amour que je n’en puis ressentir moi-même, tous les sentimens que j’accorde je veux qu’ils me soient rendus ; & je suis trop honnête femme pour pouvoir me passer de plaire à mon mari. Quel garant as-tu donc de tes espérances ? Un certain plaisir à se voir, qui peut être l’effet de la seule amitié ; un transport passager qui peut naître à notre âge de la seule différence du sexe ; tout cela suffit-il pour les fonder ? Si ce transport eût produit quelque sentiment durable, est-il croyable qu’il s’en fût tu non seulement à moi, mais à toi, mais à ton mari, de qui ce propos