Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/394

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lettres. Quand ils m’excedent, je me dérobe & je t’ennuie pour me désennuyer.

Tout ce qui m’est resté de leurs longs entretiens, c’est beaucoup d’estime pour le grand sens qui regne en cette ville. À voir l’action & réaction mutuelles de toutes les parties de l’Etat qui le tiennent en équilibre, on ne peut douter qu’il n’y ait plus d’art & de vrai talent employés au gouvernement de cette petite République, qu’à celui des plus vastes Empires, où tout se soutient par sa propre masse & où les rênes de l’Etat peuvent tomber entre les mains d’un sot, sans que les affaires cessent d’aller. Je te réponds qu’il n’en seroit pas de même ici. Je n’entends jamais parler à mon pere de tous ces grands Ministres des grandes Cours, sans songer à ce pauvre musicien qui barbouilloit si fierement sur notre grand orgue [1] à Lausanne & qui se croyoit un fort habile homme parce qu’il faisoit beaucoup de bruit. Ces gens-ci n’ont qu’une petite épinette, mais ils en savent tirer une bonne harmonie, quoiqu’elle soit souvent assez mal d’accord.

Je ne te dirai rien non plus… Mais à force de ne te rien dire, je ne finirais pas. Parlons de quelque chose pour avoir plustôt fait. Le Genevois est de tous les peuples du monde celui qui cache le moins son caractere, & qu’on connaît le plus promptement. Ses mœurs, ses vices mêmes,

  1. Il y avoit grande Orgue. Je remarquerai pour ceux de nos Suisses & Genevois qui se piquent de parler correctement, que le mot Orgue est masculin au singulier, feminin au pluriel & s’emploie également dans les deux nombres ; mais le singulier est plus élégant.