Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/466

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établir un pronostic assuré ; que la nuit prochaine décideroit du sort de la maladie & qu’il ne pouvoit prononcer que le troisieme jour. La Fanchon seule fut témoin de ce discours ; & après l’avoir engagée, non sans peine, à se contenir, on convint de ce qui seroit dit à madame d’Orbe & au reste de la maison.

Vers le soir, Julie obligea sa cousine qui avoit passé la nuit auprès d’elle & qui vouloit encore y passer la suivante, à s’aller reposer quelques heures. Durant ce tems la malade ayant sçu qu’on alloit la saigner du pied & que le médecin préparoit des ordonnances, elle le fit appeler & lui tint ce discours : Monsieur du Bosson, quand on croit devoir tromper un malade craintif sur son état, c’est une précaution d’humanité que j’approuve ; mais c’est une cruauté de prodiguer également à tous des soins superflus & désagréables dont plusieurs n’ont aucun besoin. Prescrivez-moi tout ce que vous jugerez m’être véritablement utile, j’obéirai ponctuellement. Quant aux remedes qui ne sont que pour l’imagination, faites-m’en grâce ; c’est mon corps & non mon esprit qui souffre ; & je n’ai pas peur de finir mes jours, mais d’en mal employer le reste. Les derniers momens de la vie sont trop précieux pour qu’il soit permis d’en abuser. Si vous ne pouvez prolonger la mienne, au moins ne l’abrégez pas en m’ôtant l’emploi du peu d’instans qui me sont laissés par la nature. Moins il m’en reste, plus vous devez les respecter. Faites-moi vivre, ou laissez-moi : je saurai bien mourir seule. Voilà comment cette