Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/470

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ou vous risquez de rester sans amie, & de laisser vos enfans sans mere.

Elle me parla de son pere. J’avouai lui avoir envoyé un expres ; mais je me gardai d’ajouter que cet homme, au lieu de se contenter de donner ma lettre, comme je lui avois ordonné, s’étoit hâté de parler & si lourdement, que mon vieil ami, croyant sa fille noyée, étoit tombé d’effroi sur l’escalier & s’étoit fait une blessure qui le retenoit à Blonay dans son lit. L’espoir de revoir son pere la toucha sensiblement ; & la certitude que cette espérance étoit vaine ne fut pas le moindre des maux qu’il me falut dévorer.

Le redoublement de la nuit précédente l’avoit extrêmement affaiblie. Ce long entretien n’avoit pas contribué à la fortifier. Dans l’accablement où elle était, elle essaya de prendre un peu de repos durant la journée ; je n’appris que le surlendemain qu’elle ne l’avoit pas passée tout entiere à dormir.

Cependant la consternation régnoit dans la maison. Chacun dans un morne silence attendoit qu’on le tirât de peine & n’osoit interroger personne, crainte d’apprendre plus qu’il ne vouloit savoir. On se disait : S’il y a quelque bonne nouvelle, on s’empressera de la dire, s’il y en a de mauvaises, on ne les saura toujours que trop tôt. Dans la frayeur dont ils étoient saisis, c’étoit assez pour eux qu’il n’arrivât rien qui fît nouvelle. Au milieu de ce morne repos, Madame d’Orbe étoit la seule active & parlante. Sitôt qu’elle étoit hors de la chambre de Julie, au lieu de s’aller reposer dans la sienne, elle parcouroit