Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/475

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comme si elle n’avoit eu autre chose à faire. Elle nous proposa de dîner dans sa chambre, pour nous quitter le moins qu’il se pourrait ; vous pouvez croire que cela ne fut pas refusé. On servit sans bruit, sans confusion, sans désordre, d’un air aussi rangé que si l’on eût été dans le salon d’Apollon. La Fanchon, les enfans, dînerent à table. Julie, voyant qu’on manquoit d’appétit, trouva le secret de faire manger de tout, tantôt prétextant l’instruction de sa cuisiniere, tantôt voulant savoir si elle oseroit en goûter, tantôt nous intéressant par notre santé même dont nous avions besoin pour la servir, toujours montrant le plaisir qu’on pouvoit lui faire, de maniere à ôter tout moyen de s’y refuser & mêlant à tout cela un enjouement propre à nous distraire du triste objet qui nous occupait. Enfin, une maîtresse de maison, attentive à faire ses honneurs, n’auroit pas, en pleine santé, pour des étrangers, des soins plus marqués, plus obligeants, plus aimables, que ceux que Julie mourante avoit pour sa famille. Rien de tout ce que j’avois cru prévoir n’arrivait, rien de ce que je voyois ne s’arrangeoit dans ma tête. Je ne savois qu’imaginer ; je n’y étois plus.

Apres le dîner on annonça monsieur le ministre. Il venoit comme ami de la maison, ce qui lui arrivoit fort souvent. Quoique je ne l’eusse point fait appeler, parce que Julie ne l’avoit pas demandé, je vous avoue que je fus charmé de son arrivée ; & je ne crois pas qu’en pareille circonstance le plus zélé croyant l’eût pu voir avec plus de plaisir. Sa présence alloit éclaircir bien des doutes & me tirer d’une étrange perplexité.