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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/476

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Rappelez-vous le motif qui m’avoit porté à lui annoncer sa fin prochaine. Sur l’effet qu’auroit dû selon moi produire cette affreuse nouvelle, comment concevoir celui qu’elle avoit produit réellement ? Quoi ! cette femme dévote qui dans l’état de santé ne passe pas un jour sans se recueillir, qui fait un de ses plaisirs de la priere, n’a plus que deux jours à vivre ; elle se voit prête à paroître devant le juge redoutable ; & au lieu de se préparer à ce moment terrible, au lieu de mettre ordre à sa conscience, elle s’amuse à parer sa chambre, à faire sa toilette, à causer avec ses amis, à égayer leur repas ; & dans tous ses entretiens pas un seul mot de Dieu ni du salut ! Que devais-je penser d’elle & de ses vrais sentiments ? Comment arranger sa conduite avec les idées que j’avois de sa piété ? Comment accorder l’usage qu’elle faisoit des derniers momens de sa vie avec ce qu’elle avoit dit au médecin de leur prix ? Tout cela formoit à mon sens une énigme inexplicable. Car enfin, quoique je ne m’attendisse pas à lui trouver toute la petite cagoterie des dévotes, il me sembloit pourtant que c’étoit le tems de songer à ce qu’elle estimoit d’une si grande importance & qui ne souffroit aucun retard. Si l’on est dévot durant le tracas de cette vie, comment ne le sera-t-on pas au moment qu’il la faut quitter & qu’il ne reste plus qu’à penser à l’autre ?

Ces réflexions m’amenerent à un point où je ne me serois guere attendu d’arriver. Je commençai presque d’être inquiet que mes opinions indiscretement soutenues n’eussent enfin trop gagné sur elle. Je n’avois pas adopté les siennes &